La Septième fonction du Langage – Laurent Binet

La septième fonction du langage - roman (Littérature Française)Enfin !

Je sais maintenant pourquoi Solers va à Venise deux fois par an. Bien évidemment cela ne l’a pas fait rire, mais moi, si ! Après avoir concouru à de nombreux prix et en avoir eu au moins un, que dire encore de ce livre ?

« Que savez vous de la sémiologie?

-Euh, c’est l’étude de la vie des signes au sein de la vie sociale ?

« Bayard repense à son Roland Barthes sans peine. Il serre les dents. »

-Et en français ?

-Mais …c’est la définition de Saussure…

-Ce Chaussure, il connait Barthes ?

-Euh non, il est mort, c’est l’inventeur de la sémiologie.

-Hum, je vois. »

Le point de départ de ce roman est la mort de Roland Barthes, renversé par une camionnette de blanchisserie le 25 février 1980. L’hypothèse est qu’il s’agit d’un assassinat. Dans les milieux intellectuels et politiques de l’époque, tout le monde est suspect…

Jean Philippe Lecat, ministre de la Culture et de la Communication, a déclaré : « Toutes ses recherches d’écriture et de pensées tendaient vers l’approfondissement de l’homme pour l’aider à mieux se connaitre et ainsi vivre mieux en société. » (…)Apparemment, personne , au ministère de la Culture, n’a été foutu de pondre mieux que cette platitude. Simon se demande si ce n’est pas une formule type dans la mesure où elle peut s’appliquer en gros à n’importe quel écrivain, philosophe, historien, sociologue, biologiste… L’approfondissement de l’homme, ouais, bravo mon gars, tu t’es foulé. Tu pourras ressortir la même pour Sartre, Foucault, Lacan, Lévi-Strauss et Bourdieu.

Emporté dans une enquête qui rameute le ban et l’arriere ban de l’intelligensia française, le pauvre Simon ne sait plus où donner de sa personne.

« A Bologne, il couche avec Bianca dans un amphithéâtre du XVIIe et il échappe à un attentat à la bombe. Ici, il manque de se faire poignarder dans une bibliothèque de nuit par un philosophe du langage et il assiste à une scène de levrette plus ou moins mythologique sur une photocopieuse. Il a rencontré Giscard à l’Elysée, a croisé Foucault dans un sauna gay, a participé à une poursuite en voiture à l’issue de laquelle il a échappé à une tentative d’assassinat, a vu un homme en tuer un autre avec un parapluie empoisonné, a découvert une société secrète où on coupe les doigts des perdants, a traversé l’Atlantique pour récupérer un mystérieux document. Il a vécu en quelques mois plus d’événements extraordinaires qu’il aurait pensé en vivre durant toute sa vie. Simon sait reconnaître du romanesque quand il en rencontre. Il repense aux surnuméraires d’Umberto Eco. Il tire sur le joint. »

Finalement, c’est un bel hommage ( que je ne partage pas entierement d’un point de vue intellectuel) à Umberto Eco qui vient de nous quitter et c’est surtout une bien belle manière de revisiter tout une partie de la pensée rayonnante de notre vingtième siècle. Celle qui ne se limitait pas à BHL et Finkielkraut.Beaucoup de plaisir à me laisser porter par cette révision de mon époque universitaire.Si vous ne l’avez pas encore lu, je pense que la version poche sera une bonne occasion de se rattraper.

Il Pleut des Mains sur le Congo – Marc Wiltz

Il Pleut des Mains Sur le Congo     1885, le monde civilisé se met autour de la table sans qu’on le lui demande et décide d’un traité de libre échange sans referendum auprès des populations concernées.

 » il y avait aussi les représentants de l’Empire ottoman, cet épouvantail qui fait peur depuis longtemps aux nations européennes, et enfin ceux des Etats Unis qui jouent là leurs premieres gammes de gendarmes de la morale internationnale, rôle qu’ils affectionnent depuis le massacre des indiens ».

     Marc Wiltz choisit un thème qui ne m’est pas inconnu pour avoir lu la quasi totalité des auteurs qu’il cite. Dans le Congo propriété privée de Léopold II, un régime de terreur s’est installé. Personne ne sait exactement comment cela a commencé, ni combien ont été concernés, mais une chose est sûre, ce que l’on a vu au Rwanda n’est que résurgence d’une pratique instaurée sous le règne belge. Pour les récalcitrants au travail forcé, un pied ou une main. C’est moins cher qu’une balle, et cela rapporte à l’encadrement.On verra dans les années quatre vingt dix la variante manche courte manche longue.

      En suivant une chronologie des publications, Marc Wiltz fait l’inventaire de ceux qui se sont élevés contre ce colonialisme et dont la parole est restée confidentielle malgré leur renommée. Le roi avait su s’entourer de lobbyistes doués et puissants, n’est-ce pas monsieur Stanley ? « Tous ces ignorants qui négligent tout ce qui a été entrepris pour porter la lumiere jusqu’à ces barbares anthropophages qui ne savent ni lire ni écrire, qui sont restés hors de l’Histoire et de la civilisation comme le diront d’autres ignorants français cent ans plus tard.  »

     L’auteur pointe avec justesse l’impuissance des détracteurs et contradicteurs. Ainsi Marc Twain, qui par son « Soliloque du roi Léopold » met une touche finale à la campagne de dénonciation est il un des derniers arrivés. Mais il a compris. Avec son soliloque, Twain a cristallisé ce que les hommes seuls comme Casement et Morel ne pouvaient pas faire advenir. Les Don Quichotte ne triomphent pas de la puissance organisée des systemes, capable de se régénérés lorsqu’ils sont déstabilisés. Les hommes seuls sont trop vite et trop facilement es proies du discrédit, c’est dans la nature même de leurs combats. Kafka, Orwell et beaucoup d’autres en ont montré l’évidence.Il faut davantage pour triompher et mettre à bas un régime odieux, avant de lui couper la tête, qui a d’ailleurs de fortes chance de repousser. Mais parfois, les régimes meurent sous les coups, à leur tour. Le régime de Léopold est mort sous les mots.

     Mais les idées ont la vie dures ! Les thèses développées par Clémenceau et quelques autres face à Jules Ferry sur la valeur ancienne et respectable des sociétés devenues colonisées ne sont pas encore des thèmes structurés. Avant la première guerre mondiale, la question de « la supériorité de la race blanche » est réglée. Seules peuvent se discuter les conditions d’exercices de sa mission civilisatrice.C’est le cas pour le Congo, car les débordements de léopold sont inacceptables. Ainsi verra t’on le Congo devenir belge après avoir été propriété privée. Une forme de sémantique inversée permettant d’oublier. Un peu comme on passe de l’UMP aux Républicains. Malheureusement, les mêmes idées sont toujours affleurantes. Nadine si tu m’entends…

     Pour les historiens ou les passionnés de l’Histoire coloniale, rein de neuf dans cet ouvrage, mais une approche originale car littéraire et écrite dans un style impeccable. Marc Wiltz écrit bien,est fort sympathique ( ce qui ne gâte rien), il donne envie de se pencher sur cette littérature engagée en y mettant beaucoup du sien. Aujourd’hui il se lance dans une croisade personnelle que je relais bien volontiers.

« J’ai lancé lundi dernier une pétition pour demander à ce que l’avenue Léopold II à Paris soit débaptisée. Elle figure ci-dessous, n’hésitez pas à la signer, pour toutes les bonnes raisons que vous y trouverez à titre personnel.

Paradis (avant liquidation) – Julien Blanc-Gras

Paradis (avant liquidation)« Il y a des pays en voie de développement et des espèces en voie de disparition. La république des Kiribati est un pays en voie de disparition. »

Partant de cette information, Julio en Blanc-Gras, touriste professionnel, décide de se rendre sur place pour constater l’ampleur des dégâts et l’état d’avancement de cette fin programmée. Avec le réchauffement climatique, la montée des eaux est inexorable, et tout ce qui se trouve au niveau 0 est menacé. Pourtant, on pourrait se baser sur l’exemple hollandais dont une parti du pays est situé sous le niveau de la mer et n’est pas pour autant submergé.Dans cette ile proche de l’Océanie, issu de l’archipel des ex iles Gilbert , ancienne colonie anglaise, on se trouve au contact d’une population locale que l’on pourrait qualifier de nonchalante, on suit les interventions des ONG, le rôle des anciens, la vie quotidienne.

A travers ces tranches de vie, voir de journée de vie, on se retrouve à dialoguer avec des personnages éminemment sympathiques hormis un ou deux dont la passion est de battre leur conjointe.. Mais le bon sens n’est pas synonyme de vision à long terme. « On doit tous disparaitre. En attendant, nous vivons pour apprécier la vie. Nous aurions pu rester en Angleterre, mais nous sommes finalement revenus . Il faut naitre et mourir dans son pays. » Mourir dans son pays, c’est facile à dire quand on est vieux. Ses petits-enfants n’auront peut-être pas cette possibilité.

Rempli de répliques percutantes, bourré d’humour, un manuel de l’anti-touriste à lire de toute urgence avant que les Kiribati ne soient submergées.